Mantis 18 (Spring 2020)
Heather Dohollau

Heather Dohollau

translated from French by David Wheatley


Un peintre

A Giorgio Morandi

Quelqu’un qui voit
Le lointain comme approche
Et l’apprivoise
Pour le nourrir de sa main

Rarement les hommes
Mais les lieux qui révèlent
La présence de leur oubli

Couleurs de l’aube
Distillées par la nuit
Et ombres d’une terre chaude
Au crépuscule

Distances du jour
Qui peignent un horizon proche
Où les murs blancs des maisons
Sur les pentes
Ravissent le ciel

Et loin en eux-mêmes
Les objets sur la table
Retrouvent sans fin les formes
D’une terre des yeux

Comment y voir maintenant par les yeux
Qui à ce moment-là cherchaient ailleurs
Ou – ce qui est pire – ont vu si peu et mal ?

Les rêves reprennent la tâche
Quelqu’un déjeunait à cette table d’hôte
Jour après jour dans la lumière des fenêtres
Et peut-être le corps a-t-il su
Par les bandes de clarté
Reconnaître le partage léger d’un espace
Et dehors dans le chemin, entre les haies
Emboîter quoique distraitement les pas
De cet autre dont la transparence est le paysage
Et sous l’ombre intermittante des feuilles
Toucher de plus loin à son regard

Rarement les espaces d’un homme
Ont pu s’y tenir dans un ouvert
Si purement imaginaire

Chaque matin son regard se levait
Vers le pays de cet autre
Qui était déjà là, qu’il allait rejoindre
Pour mettre le cap encore sur les objets poussiéreux
De son archipel familier. Dans cette mer intérieure
Où la découverte des terres insoupçonnées
Dans la monotonie des eaux
Remplissait d’une douceur bruissante ses journées
Et le soir heureux il retrouvait son lit étroit
Laissant l’autre à ses navigations nocturnes
Parmi les étoiles intermittantes qui séchaient dans l’ombre

Un soir quittant le train
Et prenant dans la nuit
La route qui monte
Près d’un ravin
Ill entendit un cri
Qui devenant plainte
Diminua lentement
Pierre qui se heurte
Sur la pente
Et s’enroule de silence

Après il a su
Qu’à cet endroit
Comme un chiffon
S’accroche aux branches
Le passant attardé
Captait quelquefois
Cet appel extrême
D’une chute mortelle

La présence est lumière mais elle ne peut être pressentie
qu’à travers l’ombre. Le tout est dans la répartition :
de combien de nuits a besoin le jour pour être jour?

Sur le papier
Frôlées par l’ombre
Les choses
Existent de clarté

Murs couleur de rose
Bras frais de secret
Qui cachent ce qui fleurit
De nos absences

La maison dans le glissement des feuilles
Face aveugle de clarté
Mur et miroir
Cible et flèche
Sur la terre
D’un ciel

Le matin les murs
Laineux de lumière
Retiennent l’ombre
Dans les bras de l’ange

Sur le papier
Les traits suppriment
Une distance de surface

La montée entre les cyprès, la pente si raide
que chaque pas est morsure. En bas, les années,
la distance. De l’autre côté de la vallée, les
claires maisons de la mort habitée. Plus haut,
à la fenêtre, un regard congédie le gouffre.

Entre les hauts talus
S’étire
Le corps du chemin


Maîtrise du simple
Là où la main attache
Sur la page claire
L’ombre en espalier


Des roses qui émergent d’un vase
Comme un seul bourgeon
Une torche pour Déméter
Faite de sa perte
Où pointe en pétale
La flamme

Une lumière bleue
Et sur le côté
L’ombre vigilante
Où avec ses rayures pâles
Le vase cannelé
Se grée de jour

A Painter

for Giorgio Morandi

Someone who sees
the faraway as what’s near
and tames it
to feed from the hand

Rarely people
but places that reveal
the presence of their forgetting

Dawn colours
distilled by night
and shadows of warmed earth
at dusk

distances of the day
painting a near horizon
white house-fronts
on the slopes
ravish the sky

and far within themselves
the things on the table
endlessly rediscover the form
of an earth of the eyes

How to see now through eyes
otherwise occupied at the time
or – what’s worse – seeing so little, so ill?

Dreams resume their slog
day after day someone dined
by window-light from the set menu
and signs are the body has learned
to recognise from the strips
of light that equable sharing of space
and outside on the path, between the hedges
to slot absent-mindedly into the steps
of that transparent other the landscape
and under the leaves’ mutable shade
to touch from further afield its gaze

Rarely have a man’s spaces
managed to stand in so purely
fictive an opening.

Each morning his gaze lifted
towards the land of that other
already there, whom he was off to join
lifting anchor again for the dustbowl of
his familiar archipelago. In that interior sea
where stumbling on uncharted lands
in monotonous waters
filled his days with a rustling sweetness
and glad in the dusk he regained his single bed
leaving the other to his nocturnal stravaigs
among the mutable stars that dried in the shadow

One evening slipping from
the train and taking the path
in the night that ascends
near a ravine
he heard a cry
which became a keening
then slowly hushed
a stone that dunts itself
against the slope
and rolls up in silence

Afterwards he knew
how at that spot
like a rag
speared on the branches
the dawdling stroller
sometimes captured
that cry in extremis
of a mortal fall

Presence is light but cannot be foreknown
except by way of shadow. All is in the division:
how many nights does day need to be day?

On paper
brushed by shadow
things
have their being in light

Rose-coloured walls
arms aglow with secrets
hide what flowers
of our absences

The house in the sliding of leaves
face blind with clarity
the wall and the mirror
the target and arrow
on the earth
of the sky

Walls in the morning
woolly with light
retain the shadow
in the angel’s arms

On paper
brushstrokes suppress
a surface distance

The ascent between the cypresses, the slope so steep
each step is a bite. Down below, the years,
distance. From the other side of the valley, the
clear houses of inhabited death. Higher up,
at the window, a look dismisses the abyss.

Between the high embankments
spreads
the body of the path


Mastery of the simple
where the hand affixes
on the clear page
the trellised shadow


Roses emerge from a vase
like a single bud
a torch for Demeter
shaped from her loss
tipped with a flame
in flower

A blue light
and on the side
the vigilant shadow
where with its pale rays
the fluted vase
is ballasted with day